Tandis que je relis ces notes,je revois mon chimpanzé, il n’est plus parmi nous : il est mort des suites d’une pneumonie, précédée d’une tumeur des glandes du cou. J’eus l’occasion d’observer plusieurs chimpanzés malades ou mourants, mais aucun ne me toucha comme celui-ci par le comportement vraiment humain qu’il eut pendant les derniers jours de sa vie. Mais je préfère laisser la parole au docteur Martini qui le soigna avec tant de sollicitude :
« Je fis la connaissance avec le chimpanzé vers la fin de décembre, donc en plein hiver. J’avais déjà eu l’occasion de l’apercevoir et j’avais été touché par la douceur de son caractère, par la vivacité de sa mimique et surtout par le grand amour qu’il témoignait à son gardien. La vue du pauvre chimpanzé malade me fut bien pénible. Enveloppé jusqu’au cou dans une couverture, il était couché sur le dos, immobile et indifférent à tout ce qui l’entourait. Son visage exprimait une grande souffrance et sa poitrine était secouée par de fréquentes quintes de toux. Il respirait avec peine, et, de temps à autre, il tournait vers nous un regard las et affligé. Ne me connaissant pas, il refusa ; le premier jour, de se laisser examiner,exactement comme l’aurait fait un enfant. Cependant, je gagnais peu à peu sa confiance et lorsque je pus enfin l’examiner, je remarquai que les glandes du cou étaient tuméfiées et que les sommets des poumons présentaient de grandes lésions. La tumeur purulente, placée au niveau du larynx, faisait pression sur lui et sur la trachée et risquait de l’étouffer. Le pauvre singe semblait se rendre compte que cette enflure l’empêchait de respirer, car saisissant ma main, il la porta à sa gorge pour me demander de l’aider. Après une consultation avec un collègue, je décidai d’ouvrir l’abcès par une incision de la partie supérieure du larynx. Le remède trouvé, il ne fut pas facile de l’appliquer. Me moindre mouvement de l’animal pendant l’intervention pouvait faire dévier le bistouri vers une direction peut-être mortelle sinon dangereuse. D’autre part, il n’était pas possible d’anesthésier l’animal au chloroforme à cause de l’état de ses poumons. Après trois heures de discussion, nous décidâmes de l’opérer sans anesthésie. Quatre hommes tentèrent en vain d’immobiliser l’animal. Avec une énergie désespérée le chimpanzé repoussait ces étrangers et ne cessa de hurler tant qu’il les vit à proximité. A notre grand étonnement, ce qu’on n’avait pas obtenu par la force s’accomplit naturellement. Tranquillisé par nos caresses et nos paroles affectueuses, il nous laissa à nouveau examiner l’abcès, sans opposer la moindre résistante en regardant au contraire ma main avec un aire suppliant. Encouragés par son attitude nous entamâmes l’opération. Assis sur les genoux de son gardien, le singe renversa la tête et garda docilement cette position.
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