Tous les soirs on le sortait de sa cage. A cette occasion, il montrait qu’il connaissait la valeur du temps car, une heure avant l’ouverture de la cage, il donnait des signes d’impatience. A ce moment-là le gardien ne pouvait s’éloigner sans provoquer la colère du chimpanzé qui prenait l’attitude du désespoir, se roulant par terre, agitant ses mains et ses pieds et poussant des cris stridents. Il ne le quittait pas des yeux et commençait à se plaindre dès que celui-ci faisait mine de s’éloigner. Blotti dans les bras de son gardien, la tête appuyé sur sa poitrine, comme un enfant, il semblait ne rien désirer d'autre qu'arriver dans la pièce où nous nous tenions. Là, il s'asseyait sur le divan et nous observait d’un regard confiant comme pour deviner nos intentions. S'il croyait comprendre qu'il ne resterait pas seul, il se réjouissait aussitôt et devenait mélancolique, contractait ses lèvres, gémissait et s'accrochait au cou de son gardien s'il sentait que celui-ci allait le quitter. Dans ce cas-là, rien ne le consolait, pas même ces mots doux et affectueux qui, en d'autres occasions, obtenaient d'excellents résultats. Il aimait les enfants, surtout les tout-petits envers qui il se montrait une très grande tendresse. Il préférait les petites défie au petit garçon, sans doute par ce que ces derniers le taquinaient. S'il aimait la plaisanterie, il ne tolérait guère la moquerie. Lorsque je lui montrais, pour la première fois, ma petite fille d'un mois et demi, il la regarda visiblement étonné, puis il lui caressa doucement le visage d'un doigt et enfin lui donna la main. À la différence des autres singes, mon chimpanzé resté gay et de bonne humeur jusqu'à la tombée de la nuit ou tout au moins tant que la lampe restée allumée. Le dîner était son repas préféré, et si la bonne tardait à lui apporter son thé, il frappait la porte avec ses mains jusqu'à ce qu'elle arrive. Il la saluait alors par des cris joyeux et allait même lui tendre la main. Il acceptait tout ce qu'on lui servait, y compris les boissons parmi lesquels il préférait la bière.
Pendant le repas il restait ainsi, posait les mains sur la table ou bien s'y appuyait avec un bras. D'une main il saisissait la tasse de et en buvait lentement le contenu en le savourant. Puis il mangeait les petits bouts de pain restés au fond de la tasse en les saisissant avec les lèvres ou en s’aidant des mains. Pendant qu'il mangeait, il ne cessait de rouler les yeux en tous sens.
Après le repas, il aimait rester quelque temps en notre compagnie avant d’aller se coucher. Il s’amusait à sortir un morceau de bois du poêle ou à enfiler ses mains dans les pantoufles de son gardien et à les traîner dans la pièce. D’autres fois, il s’emparait d’une serviette ou d’un mouchoir et les utilisait pour faire la poussière. Il aimait, en effet épousseter et nettoyer les objets et lorsqu’il avait réussi à se procurer un torchon, il était très difficile de le lui enlever. En ce qui concerne la propreté, il s’habitua peu à peu à ne pas souiller sa cage ou son lit. Si par hasard il lui arrivait de piétiner quelque chose de sale, il s’en montrait agacé, regardait avec dégoût le pied sali, l’éloignait le plus possible de lui, le secouait et, enfin, le nettoyait avec une poignée de paille. Et on l’a vu jeter hors de sa cage la paille souillée.
Il craignait l’obscurité et se couchait aussitôt la lumière éteinte. Il dormait tranquillement, toute la nuit, en s’étirant et en se tournant de temps à autre, surtout quand il faisait chaud. Par les nuits d’été, il se couchait sur le dos, les mains croisées sous la tête. En hiver, il se pelotonnait. Il se réveillait à l’aube, toujours de bonne humeur, et le restait jusqu’au soir.
Il n’aimait pas beaucoup la compagnie des autres animaux ; il craignait les gros et maltraitait les petits. Les oiseaux ne l’intéressaient que s’ils avaient affaire à son gardien. Dans la pièce où il vivait, il y avait un perroquet cendré qui était pour lui une occupation constante. Il en avait un peu peur mais il ne renonçait pas pour autant à le taquiner. Il s’approchait furtivement de sa cage et levait brusquement la main pour l’effrayer. Mais le perroquet était trop habitué à ce petit jeu pour le craindre et lui répondait en chuchotant un « pst, pst) qu’il avait appris de son maître. Ce qui effrayait tout à fait mon chimpanzé, c’étaient les serpents et les reptiles. Si je lui montrais des crocodiles, il poussait aussitôt des cris de terreur et de colère et tentait de s’enfuir.
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