D’autre part, la maîtrise du copte, une langue dont il est sûr, depuis l’âge de douze ans, qu’elle dérive de l’égyptien ancien. « Je me livre entièrement au copte, écrit-il, parce que sur cette langue sera basé mon grand travail sur les papyrus égyptien… Pour m’amuser, je traduits en copte tout ce qui me vient à la tête. » L’histoire lui donnera raison. Le copte est bien la forme la plus tardive de l’égyptien antique. Transcrite en grec au IIe siècle, lors de la christianisation des Egyptiens, cette langue a d’ailleurs conservé sept caractères de l’égyptien démotique.
Pour étudier les hiéroglyphes, point n’est alors besoin de se rendre en Egypte. Les reproductions établies par les dessinateurs et les sculpteurs, lors de l’expédition napoléonienne, sont d’une incomparable fidélité, y compris celles de la pierre de Rosette, confisquée par les Anglais lors de la reddition française de 180. l’ensemble forme une masse considérable de documents que Champollion rassemblera, entre 1810 et 1820. Mais ce corpus, si volumineux qu'il fut, n'eut sans doute pas livré aussi vite ses secrets, sans deux hypothèses essentielles, établi dès 1810.
La première faisait découler l’une de l’autre les trois écritures égyptiennes connues et les posait comme les trois formes d’un même système. Une intuition qui était juste, on le sait aujourd’hui. Dès la IIIe dynastie, le clergé a en effet adapté à la graphie sur papyrus l’écriture hiéroglyphique - ou sacrée - qui figure sur les monuments. Une nouvelle forme cursive et ainsi apparue. Coexistant avec les hiéroglyphes, elle a reçu le nom d'écriture hiératique. Enfin, quand, sous la 25e dynastie l'écriture s'est popularisée, une troisième forme, appelé
démotique, est venu compléter les deux autres, le hiératique étant alors réservé aux seuls prêtres pour les livres des morts.
Une telle hypothèse suggérait la possibilité d'établir un tableau de concordance entre les signes des trois écritures. Ce fut une tâche ardue que Champollion n'acheva qu'en 1821. Encore à cette date, ne disposait-t-il que des équivalences entre signes hiératiques et hiéroglyphiques. L'année suivante, il adjoindra à ce tableau les signes des écritures démotique, copte et grecque. L'histoire de l'établissement de ce très précieux document témoigne de la méthode suivie : observation, comparaison, raisonnement.
La deuxième hypothèse de 1810 portait, elle, sur la nature même des hiéroglyphes : puisque les cartouches transcrivent le nom des souverains, ils devaient avoir « la faculté de produire des sons ». Il s'agissait donc de phonogrammes... Idéogrammes ou phonogrammes ? La question était débattue, de façon d'ailleurs un peu théorique car, depuis la transcription du copte en grecque, plus personne ne comprenait d'écriture égyptienne, quelle que soit sa forme.
La théorie des idéogrammes remontait loin dans le temps. Elle avait été imposée au IVe siècle, par l’Egyptien Horapollon, dans son ouvrage Hieroglyphica. Bien plus tard, au XVIIe siècle, elle avait été réaffirmée par le père jésuite Kircher, fondateur des études coptes en Occident (le copte était encore parlé !). Elle avait ensuite prévalu jusqu'au XIXe siècle.
Ça et là, certains avaient cependant suggéré qu'il s'agissait de signes alphabétiques. C'était le cas, au XVIIIe siècle du comte de Caylus, qui interprétait ainsi les signes d'écriture hiératique, ou, au début du XIXe, du Danois Zoega, du suédois Akerblad, et surtout du physicien anglais Young.
Tous recherchaient dans cette écriture les éléments phonétiques. Young en reconnut d'ailleurs une soixantaine. Si intéressantes fussent-elles, ces théories restaient pourtant lettres mortes. Toutes présentaient en effet un fâcheux défaut : celui d'être impossible à démontrer. En fait, une seule chose était alors certaine : les cartouches recelaient le nom des rois. Champollion lui-même crut d'ailleurs longtemps que l'usage des phonogrammes se limitait à leur seule transcription, s'en tenant, pour les autres mots, à la théorie dominante, celle des idéogrammes.
Un guérisseur ne l'avait-il pas prophétisé pour sa naissance : il serait « la lumière des siècles à venir ». Comme s'il avait vu juste, la lumière vint à Champollion le 23 décembre 1821, le jour même de son 31e anniversaire.
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