jeudi 15 septembre 2011

Histoire d'Indiens (10)


Les Shoshoni ont sept cents chevaux et vingt mules, la plupart d’ascendance espagnole et amenée du Mexique via la Californie. Mais la tribu affamée se nourrit de baies et de racines. Sacajawea choisit de reprendre la route avec les Blancs, son époux et son bébé. Et l’épopée repart à la fin août 1805 à travers les Bitteroot Mountains, par la piste des Nez-Percés sur le chemin des crêtes appelé Lolo Trail. Un nouvel enfer. Onze jours dans la neige et la gadoue, sans rien manger ou presque. Les chiens comestibles se font rares. Les chevaux achetés aux Shoshoni trébuchent et basculent dans le ravin. Le soir, les hommes, épuisés, s’effondrent en flageolant, tandis que les loups hurlent autour du campement... Il faut atteindre la Snake River puis la descendre jusqu’à Columbia, alterner encore portages et navigation, avec de nouveaux canoës achetés aux Indiens. C’est le territoire des pêcheurs Chinook et des saumons du même nom. Hélas le frai est fini, les saumons sont morts et les Indiens rechignent à vendre leurs filets séchés. N’est-ce pas leur monnaie d’échange, donc de paix, avec tous leurs ombrageux voisins ?




Mais le 7 novembre, une musique lointaine envoûte soudain les pionniers, trempés de pluie jour et nuit. Les brisants du Pacifique ! Ses vagues furieuses remontent le fleuve et ballottent des troncs d’arbres gigantesques. Il faudra huit jours pour descendre l’estuaire, et trois de plus pour gagner l’océan, le « Grand Lac puant », le 18 novembre.
On baptise le nouveau camp d’hiver Fort Clatsop, du nom des Indiens du lieu. La saison est froide et terrible. La faim noue les tripes. Les hommes doivent supplier les Indiens Clatsop et Chinook, troquer jusqu’au dernier bibelot contre un peu de racines séchées ou de saumon. Le 28 mars, la troupe prend le chemin du retour sans provisions suffisantes, elle compte manger des chevaux et des chiens en route. Pour Lewis et Clark, la mission continue. Ils s’obstinent à explorer, cartographier, identifier des espèces, des rivières ou des cimes. Puisque Jefferson le veut, ils cherchent au nord une rivière qui s’enfonce dans l’empire anglo-canadien de la fourrure, et repèrent au retour un passage bien plus court à travers les Rocheuses. En plein mois de juin, ils croient mourir dans la « prison de neiges », où les chevaux glissent et se perdent dans la brume. Puis les deux capitaines se séparent pendant six semaines pour explorer deux routes séparées.



Au nord, les Indiens dérobent les fusils de Lewis, au sud, ils volent les chevaux de Clark. Lewis abat un Pied-Noir nommé Side Hill  Calf, qui reste la seule victime indienne de l’aventure ; son peuple le vengera sur tous les Blancs de passage, jusqu’en 1830, avant d’^être fauché par la variole... Le 12 août, les capitaines se rejoignent sur le Missouri. Mais leur joie n’est pas totale. Oubliant leur promesse à « grand-père Jefferson » les Indiens ont repris leurs guerres. Rapines et vendetta opposent à nouveau les Sioux, Mandan, Ricara, Minnitari... Lewis et Clark offrent des cadeaux, font circuler encore le calumet de la paix, puis dépêchent les chefs apaisés à Washington, où Jefferson les couvrira d’honneurs et de vareuses militaires. Les pionniers, eux, ont troqué leurs uniformes contre des vivres. Vêtus de peaux de bêtes, méconnaissables, ils atteignent Saint-Louis le 23 septembre 1806, deux ans et quatre mois après l’avoir quitté.




La nouvelle de leur triomphe se répand comme une traînée de poudre aux Etats-Unis. Tourbillon de conférences, de fêtes, de bals, de mondanités. Jefferson accuille les héros à Washington. Il nomme Lewis gouverneur de la haute Louisiane et Clark brigadier général de la Milice et surintendant aux affaires indiennes. Le président presse les vainqueurs de publier leur journal. Lewis accepte mais n’en rédige pas une ligne. S’effondrant dans un vertige intérieur à la mesure de son exaltation passée, il s’est mis à boire, aligne les déconvenues sentimentales, se brouille même avec Jefferson qui le tenait pour son fils. Le 10 septembre 1809, il se tire une balle dans la tête et une autre dans la poitrine. « Il n’est jamais revenu du voyage » confiera Clark à un ami. William Clark est nommé en 1813 gouverneur du territoire du Missouri. En 1820, il est battu aux premières élections de l’Etat du même nom, parce que « trop ami des Indiens », qui l’appellent Red Hair Chief : le chef aux cheveux rouges. Il les défendra jusqu’à sa mort, en 1838, après avoir contré avec eux les Anglais du Canada. Alors commence la ruée vers l’Ouest. Pour le meilleur et, largement, pour le pire.

un site à visiter:
 http://www.suite101.fr/content/les-eclaireurs-et-la-conquete-de-louest-fusion-de-deux-cultures-a18885

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